La construction de la ligne Mulhouse-Thann et les débuts du chemin de fer en Alsace

Le chemin de fer commence à se développer en France autour des années 1830, avec l’implantation d’un réseau ferroviaire partant de Saint-Étienne dans la région du Rhône, et la construction d’une ligne de train de Paris à Saint-Germain en Île-de-France.

L’intérêt de ce nouveau mode de transport ne passe pas inaperçu des industriels mulhousiens, qui étudient dès 1836 la possibilité d’un chemin de fer de Mulhouse à Thann, bientôt élargi à celui d’une ligne ferroviaire de Strasbourg à Bâle.

Thann est alors une ville de premier plan dans l’économie mulhousienne, puisqu’elle abrite une industrie chimique - l’une des plus importantes au monde - spécialisée dans la recherche et la production de colorants pour le textile. Elle est rapidement identifiée, aussi bien par l’industriel Nicolas Koechlin, que par l’ingénieur Nicolas Cadiat, tous deux membres de la Société industrielle de Mulhouse, comme la plus propice à recevoir la première ligne de train en Alsace.

Koechlin, qui se charge personnellement de la réussite de ce projet, fait appel en 1836 à un ingénieur des ponts-et-chaussés d’Altkirch, Pierre-Dominique Bazaine, pour les études préalables à cette réalisation. Son rapport est soumis en 1837 à une commission d’enquête publique réunie à la préfecture de Colmar, qui se prononce en faveur de la construction. La même année, une loi autorise l’établissement d’un chemin de fer de Mulhouse à Thann : « l’offre faite par le sieur Nicolas Koechlin d’exécuter, à ses frais, risques et périls, un chemin de fer de Mulhouse à Thann (Haut-Rhin), est acceptée […] ».

Le cahier des charges de la ligne Mulhouse-Thann, approuvé en 1837 par le ministère des travaux publics, fixe un délai de trois ans pour la construction de la ligne. Il précise que celle-ci commencera au niveau du canal à Mulhouse, et passera par Dornach, Lutterbach, Cernay et Thann : il s’agit là de notre actuelle ligne de Tram-Train. Les tarifs voyageurs sont fixés en fonction de la distance parcourue : 0,08 francs par kilomètre en voiture fermée et couverte, 0,06 francs en voiture non fermée et découverte… Chaque voyageur peut porter avec lui un bagage jusqu’à 15 kg compris dans le prix de sa place.

Parallèlement, Koechlin envisage de porter son projet ferroviaire à une nouvelle échelle et étudie la possibilité d’une ligne Strasbourg-Bâle, en concurrence au projet badois Mannheim-Bâle, longeant le Rhin du côté allemand. Il importe en effet pour l’industriel mulhousien d’évincer le projet allemand, qui rendrait impossible ou au moins inutile la construction d’une ligne alsacienne d’envergure. Pour l’étude de ce projet, Koechlin fait à nouveau appel à Pierre-Dominique Bazaine, qui travaille toujours sur la construction de la ligne Mulhouse-Thann, ainsi qu’à Paul-Romain Chaperon, ingénieur des ponts-et-chaussées à Strasbourg. Leur rapport est soumis à une commission d’enquête réunie à la préfecture de Strasbourg en 1838, et une loi autorise la même année la construction de la ligne Strasbourg-Bâle.

Les travaux de terrain de la ligne Mulhouse-Thann commencent en 1838, avec quelques ajustements par rapport au projet initial afin qu’une partie de celle-ci puisse être commune à la ligne Strasbourg-Bâle.

Plusieurs documents relatifs à ces deux projets se situent aujourd’hui dans le fonds de la Bibliothèque de l’université de la SIM (BUSIM), dont les planches originales de Pierre-Dominique Bazaine portant sur l’implantation de la ligne Mulhouse-Thann : signaux du pont tournant, atelier de réparation des locomotives… (BUSIM, GF 3240)

Par ailleurs, contrairement à la plupart des locomotives en usage en France, de facture anglaise, Koechlin a souhaité que les locomotives employées sur la ligne Mulhouse-Thann soient non seulement fabriquées en France, mais sur place en Alsace. La locomotive Napoléon, construite par André Koechlin & Cie sur Mulhouse-même dans notre actuel quartier de la Fonderie, marque particulièrement les esprits et fait de Mulhouse une ville de référence en matière de construction de locomotive à vapeur également.

La ligne Mulhouse-Thann est inaugurée en festivités le 1er septembre 1839. Le programme prévoit 400 invités, qui effectuent les premiers voyages ouverts au public. La presse locale suit l’événement avec enthousiasme, un déjeuner est offert à l’ensemble des convives. La pluie n’entame pas la curiosité de la population, qui se regroupe sur le point de départ et tout le long de la ligne. Des chromolithographies produites par Engelmann père & fils immortalisent la journée (BUSIM, BX 548).

 

Auteur : Alissar Levy
Document présenté : Album de planches du chemin de fer / Pierre-Dominique Bazaine, 1839 (GF 3240)
Lieu de conservation : Université de Haute-Alsace, Bibliothèque de l'université et de la SIM

Sources et bibliographie

Supplément extraordinaire au n° 33 de l’Industriel alsacien : inauguration du chemin de fer de Mulhouse à Thann, 1839.

William Grosseteste, Chemin de fer de Mulhouse à Thann, inauguré le 1er septembre 1839 : Notes et documents présentés à la Société industrielle, Mulhouse, 1889.

Marc Drouot, André Rohmer, Nicolas Stoskopf, La fabrique de produits chimiques Thann et Mulhouse : histoire d'une entreprise de 1808 à nos jours, Strasbourg, 1991.

Émile Dollfus, Le chemin de fer de Mulhouse à Thann : 1839-1939, Mulhouse, 1939.

Nicolas Stoskopf, Chroniques ferroviaires d'Alsace (1839-2011), 2012. hal-01271886.