L’Abrégé d’histoire naturelle pour l’instruction de la jeunesse, Perrault, 1786

L’histoire naturelle a connu d’importantes avancées au 18e siècle, si bien qu’un effort de médiation pour rendre accessible ces connaissances à différents publics est vivement encouragé, comme le montre les nombreux projets éditoriaux pédagogiques qui fleurissent à la fin de ce siècle. L’Abrégé d’histoire naturelle pour l’instruction de la jeunesse publié en 1786 par un certain M. Perrault, en est un exemple truculent.

S’il se situe dans la lignée de Buffon, Linné — père de la biodiversité — et d’autres naturalistes moins connus aujourd'hui comme Pluche, Adanson, Daubenton ou Brisson, sa priorité est surtout de constituer un ouvrage adapté aux enfants. Pour cela, il souhaite mettre en avant l’importance de l’observation comme pratique pédagogique.

Près de 2 000 spécimens sont présentés à l’œil attentif du jeune lecteur, le tout classé selon trois règnes : le végétal, l’animal et le minéral. Des gravures accompagnent l'œuvre et permettent d’étudier « dans le cabinet & sur le papier » les espèces, mais aussi d’emporter avec soi l’ouvrage en plein air pour des séances d’observation in vivo. Enfin, pour ceux qui vivent loin des côtes, le livre donne un aperçu de la faune et de la flore marine y compris en contexte, comme le montre la gravure de chasse à la baleine — activité qui n'est malheureusement pas encore reléguée aux livres anciens.

L’histoire naturelle : « source générale de toutes les connoissances qui font la base de la société »

Les estampes visent à donner envie aux enfants de parcourir le livre, de même qu’un ensemble d’autres dispositifs allant du format (un in-octavo, voisin de notre format A5) jusqu’au choix de la forme dialoguée pour introduire les leçons. Il s’agit donc de produire un livre maniable, transportable — en deux volumes de sorte à réduire le poids et faciliter la lecture en extérieur — et, pour ces raisons, de faire court en laissant au soin du professeur le choix de développer ce qu’il juge pertinent. En parallèle, un choix spécifique de contexte discursif a été imaginé pour transmettre les connaissances et permettre aux enfants de s’identifier dans un récit dialogué à un groupe de jeunes apprenants curieux. Le bon ami converse ainsi avec les jeunes amis dans une mise en scène quasi romancée d’un dialogue familier, scénario récurrent des ouvrages à vocation pédagogique depuis l’Antiquité, abandonné aujourd’hui et qui, pour cette raison, pourrait bien faire sourire le lecteur du 21e siècle.

Mais avant de convaincre la jeunesse, il s’agit de persuader les professeurs, parents et précepteurs de l’intérêt d’un tel ouvrage. L’auteur milite ardemment pour introduire les enfants à l’étude de l’histoire naturelle, se plaignant de la tendance à considérer ce sujet comme une simple curiosité, « tandis que l’étude sèche de quelque langue morte, qui au fond ne peut être que d’une utilité éventuelle, ou l’étude trop relevée de quelque ouvrage de littérature ancienne & moderne, que l’on ne peut ni ne doit même réussir de mettre à la portée de cet âge tendre, sont mises constamment au premier rang des objets auxquels on l’applique ». Voilà qui peut surprendre, en particulier compte tenu de l’importance du latin dans la dénomination des plantes ! Mais une fois encore, selon l’auteur, « la portée du jugement de cet âge tendre n’a pas été exactement appréciée » par ses contemporains et charge à lui de rappeler qu’« on ne parle pas à de jeunes têtes comme à des savans, à des philosophes, à des académiciens ».

Ce discours moderne ne saurait pour autant faire oublier le poids de la morale qui pèse alors et conduit Perrault à devoir jeter un voile pudique sur les questions ayant trait à la reproduction sexuée des plantes : « quoique nous n’ignorions pas que c’est l’un des principes fondamentaux de cette science : mais nous espérons qu’un instant de réflexion suffira aux lecteurs judicieux pour leur faire sentir les raisons prépondérantes qui nous ont empêchés d’entrer dans des détails circonstanciés de cette espèce ». Couvrez ces étamines et pistils, que nous ne saurions lire ...

Focus sur l’histoire éditoriale de l’œuvre, de l’exemplaire et de sa numérisation

Comme la page de titre l’indique, l’Abrégé d’histoire naturelle pour l’instruction de la jeunesse est imité d’un ouvrage allemand, le Naturgeschichte der Kinder publié en 1783 à Göttingen par Georg Christian Raff (1748-1788), professeur d’histoire et de géographie. L’effort de vulgarisation est donc double, il s’agit à la fois de permettre à l’œuvre de connaître un autre public, francophone cette fois, et de mettre à disposition l’histoire naturelle aux enfants. Le succès qu’a connu l’ouvrage allemand, dont la réputation a traversé les frontières, s’applique tout autant à la version française publiée conjointement à Strasbourg chez Amand Koenig et à Paris chez Barrois jeune en 1786, puis à Amsterdam chez Gabriel Dufour en 1793.

L’exemplaire conservé à la bibliothèque nationale et universitaire, imprimé à Strasbourg, chez Levrault, a plusieurs particularités. Un·e élève a noté en marge pour chaque espèce le nom allemand, indexant par la même occasion son ouvrage. Aurait-il/elle travaillé avec une édition allemande du Naturgeschichte der Kinder en parallèle ? Impossible d’en avoir le cœur net, et de nombreuses autres questions poussent à rechercher les possesseurs successifs des volumes. En effet, ces documents font partis d’œuvres spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale, soit par un vol effectif, soit par vente forcée. En l’absence d’information, ils sont conservés par des institutions patrimoniales et pourront, en fonction des avancées sur la documentation des œuvres et la constitution des collections, être restitués.

Dernière particularité, les planches d’illustrations, normalement ajoutées en fin de volume, ont disparu. Celles montrées dans ce billet sont tirées d’un autre exemplaire de la même édition conservée à la Bibliothèque nationale de France. Cet exemplaire (le 8-S-7006) est aussi celui qui a servi pour la numérisation. En effet, on ne renumérise pas deux fois deux ouvrages identiques, a fortiori au sein d’un même réseau de partenaires. Le livre annoté est quant à lui disponible à la consultation dans la salle patrimoine de la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg, avis à nos lecteurs !

Autrice : Marine Parra (BNU)


Documents présentés 
Exemplaire étudié : Perrault, Abrégé d'histoire naturelle pour l'instruction de la jeunesse, 1786, conservé à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg, cote : Magasins Fischart B-141-047.1.
Source allemande imitée : Georg Christian Raff, Naturgeschichte für Kinder, 1781, disponible à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg sous la cote : Magasins République B.117.645.
Exemplaire numérisé : Perrault, Abrégé d'histoire naturelle pour l'instruction de la jeunesse, 1786, conservé à la Bibliothèque nationale de France, cote : 8-S-7006.

Pour aller plus loin
- Cambefort Yves, « L'enseignement de la zoologie entre philosophie et leçons de choses. Les manuels pour l'enseignement secondaire de 1794 à 1914 », Paris, Institut national de recherche pédagogique, 2001. 110 p. Disponible en ligne : Consulté le 22 août 2024.
- Manson Michel, « Introduction », in Les Livres pour l’enfance et la jeunesse publiés en français de 1789 à 1799, Paris, Institut national de recherche pédagogique, 1989. pp. 11-35. disponible en ligne, consulté le 21 août 2024.
- Jean-Marie Feurtet, « Quelles perspectives pour des politiques de numérisation patrimoniale écoresponsables ? » in Abf Bibliothèques vertes, publié en ligne le 13 mai 2024, consulté le 22 aout 2024.