Cet imposant volume appartient à la collection Juillard-Engelmann, déposée à la Bibliothèque en 1976 par les descendants directs des familles Engelmann-Thierry. Le dépôt devient propriété de la ville en 1988. Il compte près de 3500 planches venues enrichir le fonds du Cabinet des Estampes et rassemble une trentaine d’ouvrages lithographiés : des œuvres rares imprimées par Godefroy Engelmann ainsi que quatre recueils d’étiquettes et épreuves. La particularité du fonds Juillard-Engelmann est d’offrir un véritable témoignage de la vie d’une imprimerie lithographique au 19e siècle. On ne peut évoquer la lithographie sans mettre la lumière sur un personnage clé : Godefroy Engelmann.
Né à Mulhouse en 1788, il est le premier, en France, à avoir ouvert dès 1815 un atelier lithographique pérenne. Un deuxième atelier verra le jour à Paris l’année suivante. Il n’aura de cesse d’apporter des améliorations techniques à cet art né en Allemagne en 1796 et ira jusqu’à mettre au point la chromolithographie en 1836.
C’est précisément la découverte de la lithographie et les améliorations techniques qui ont permis l’essor de l’usage des étiquettes commerciales. Ce marché des Ephémères (appelés également « travaux de ville ») tels que les étiquettes, les factures, les mandats, les almanachs, les papiers à en-tête offre un débouché important à un imprimeur-lithographe. On les nomme « Ephémères » car il s’agit de documents du quotidien n’ayant pas vocation à être conservés.
Les imprimeurs ont tenu des albums leur permettant d’assurer le suivi de leur production. Malheureusement, ces archives ont souvent disparu, perdues sinon détruites lors de déménagements ou de cessations d’activité. Ce n’est donc qu’une faible partie des innombrables étiquettes produites tout au long du 19è siècle qui nous est parvenue. Tout cela ne rend notre recueil que plus précieux encore !
Notre collection d’étiquettes se cache derrière une austère reliure entoilée de couleur sombre qui a permis à ces minces et fragiles images de traverser les aléas du temps. Certaines images sont imprimées en deux ou trois couleurs différentes. A travers elles, on peut suivre l’évolution technique de la lithographie, de la mise en page, des illustrations, des ornements, de la typographie… A cette époque, l’imprimeur est à la fois chargé de l’impression mais également de la conception et de la création de l’étiquette. Certaines étiquettes font preuve d’une très grande sophistication. Elles permettent de distinguer un produit d’un autre, de mettre en avant un nom, une marque… et d’éviter ainsi les contrefaçons.
Comme on le découvre au fil des pages, l’imprimeur peut aller jusqu‘à créer les premiers messages publicitaires pour son client ! Conscient de son savoir-faire et d’être précurseur dans son domaine, l’imprimeur va même parfois apposer son nom sur l’étiquette.
Bon nombre d’images de ce recueil se rapportent aux produits de l’industrie textile : draps, indiennes, fils, toiles peintes… ; au commerce du vin et spritueux : mousseux, eau de vie de lavande ambrée, absinthe, anisette, vermouth… ; aux produits pharmaceutiques et cosmétiques : opiat de Ceylan « pour blanchir les dents », graisse d’ours du Canada « pour entretenir la beauté de la tête », pommade fine à la rose « pour l’entretien de la chevelure »… ; à l’alimentation : « assaisonnement pour manger le poisson », thé «venant directement de la Chine à Bordeaux », sucre, chocolat… ; à la papeterie : papiers, encres, plumes…
Elles apportent également un éclairage sur les mœurs et habitudes culturelles de l’époque : carte de visite du Grand Hôtel de Bellevue à Trouville, de l’Hôtel d’Angleterre à Blois, du grand magasin « A la ville de Paris » … mais aussi billet de loterie, cartes à jouer, carte d’entrée pour les courses du haras du Pin, carte d’admission pour un club de pistolet, cartons d’invitation pour des bals, concerts, billets d’entrée pour les Bains et pour l’Omnibus…
En feuilletant l’album, on découvre les produits en vogue et l’on voyage au gré des échanges commerciaux : opiat de Ceylan, becs de plumes Anglais, cachemire d’Écosse, satin Français, savon de Naples, épingles Irlandaises, rhum de la Jamaïque, fil royal de la Compagnie des Indes, aiguilles Anglaises « destinées aux femmes Françaises »…
Ces 1450 étiquettes commerciales réunies en un volume de 144 pages offrent un passionnant témoignage des mœurs et usages du 19è siècle ainsi que des débuts de l’art publicitaire.
Nathalie Munck, Bibliothèque municipale de Mulhouse
Document présenté :
[Recueil d'étiquettes et vignettes commerciales]
Thierry Frères (Paris), 1830-1840
1 Album : 114 planches ; 1430 étiquettes ; reliure entoilée : Lithographie ; Folio (32,5 X 45)
Fonds Juillard-Engelmann, Cabinet des Estampes, E7594.
Pour aller plus loin :
TWYMAN Michaël : "L’importance à long terme des imprimés éphémères", in : RBM, vol. 9, n°1, 2008
LERCH Dominique : "Travaux de ville, imprimerie de labeur, éphémères, non livres…" (Article du 24 janvier 2016)
CASIOT Frédéric : "Les collections singulières de la Bibliothèque Forney", in : BBF, n°4, 2007 (p. 55-60)