Mulhouse, libérée le 17 novembre 1918 par la 2e Armée française avec à sa tête le Général Auguste-Edouard Hirschauer, fête encore sa libération en février 1919, lors de la Soirée Alsacienne des Employés de la SACM (Société Alsacienne de Constructions Mécaniques), qui a eu lieu au Cercle Saint Etienne, dont la localisation nous est inconnue, le samedi 8 février 1919.
Après l’allocution du fondé de pouvoir de la SACM et des chants alsaciens présentés par un chœur d’hommes recruté parmi le personnel de l’entreprise, Alfred Riffly, comédien du TAM (Théâtre Alsacien de Mulhouse) a joué une "Revue de guerre mulhousienne" qu’il a lui-même composée en dialecte alsacien.
Il y retrace, en rimes, les faits et gestes du temps de la Première guerre mondiale à la Fonderie, et plus largement dans la région mulhousienne, sur une période allant de la déclaration de guerre en août 1914 jusqu’à la libération de l’Alsace-Lorraine au cours de la Marche au Rhin et l’expulsion des Allemands qui s’en suivit. Cette Revue fait l’objet de cette brochure de 8 pages, dont la couverture est illustrée d’une lithographie représentant une chorale d’alsaciennes en costume ; le texte de la Revue en dialecte alsacien y est reproduit en intégralité. La dernière page est illustrée d’une vue de la cour de la Fonderie, ornée d’un encadrement style Art Nouveau.
Ces quatre années ont été marquées à Mulhouse, comme dans toute l’Alsace-Lorraine, par des combats dans la ville dès novembre 1914, la perte de 70% des effectifs de la Fonderie suite à la mobilisation générale décrétée le 1er août 1914, et la germanisation des entreprises par l’usage de l’allemand et le remplacement des cadres alsaciens par des Allemands venus d’Outre-Rhin.
La SACM, fondée en 1826 par André Koechlin sous le nom d’établissement "André Koechlin et Compagnie", était l’un des fleurons de l’industrie textile et mécanique mulhousienne, et a fourni des machines textiles et des moteurs aux usines textiles de la région, puis a su diversifier sa production lors du boom ferroviaire du milieu des années 1850 (construction de locomotives).
Liée à des intérêts français, allemands et suisses, l’entreprise a beaucoup souffert durant la Première guerre mondiale, et de nombreux dirigeants alsaciens ont dû trouver refuge en Suisse ou ont été évincés en raison de soupçons d’espionnage. Ils ont été remplacés par des Allemands, chargés de germaniser l’entreprise et de veiller à ce que sa production serve l’effort de guerre allemand. C’est avec fierté qu’Alfred Riffly affirme que malgré leur grossièreté, malgré la fureur dont ils ont fait preuve, les "Boches" n’ont pu changer le sang ET mulhousien ET français des employés de la SACM réunis lors de cette Soirée Alsacienne, et qu’ils l’ont prouvé, lors de cette soirée, en acclamant les discours au cri de "Vive la France !".
"Doch was se nit hann schangschiere kenne,
Trotz Grobheit, trotz’m Schwowewüet,
Isch, was mit Stolz mir derfe nenne :
Unser franzesch Milhüserblüet."
Après quatre ans de mise sous séquestre et de germanisation forcée, les dirigeants alsaciens et les ouvriers ont pu revenir à la Fonderie. Les Allemands, quant à eux, ont dû repartir Outre-Rhin, suite à la mise en place en décembre 1918 de commissions de triage qui avaient pour fonction de "débochiser" les provinces retrouvées. Le matériel qu’ils avaient fait transporter en Allemagne (cloches d’églises, alambics, objets confisqués chez les particuliers mais aussi des pièces de fabrication provenant des usines mulhousiennes), au titre des prises de guerre mais aussi en raison de la proximité avec le front (situé vers Thann), a peu à peu été rapatrié à Mulhouse, ce qui a permis la reprise progressive d’une vie normale pour ses habitants et de l’activité de ses usines.
La revue de guerre mulhousienne se termine sur des remerciements pour Clemenceau, Foch et tous ces soldats qui se sont battus pour la libération de l’Alsace-Lorraine.
"Honneur im Clémenceau, im Foch ;
Mit Energie un starker Hand,
Hann sie uns befreit vom Joug des boches,
Un zruckgah unserm Vaterland"
Les deux dernières phrases du texte de la revue, les seules en français dans le texte, sont des remerciements pour la France, qui n’a pas oublié les "Provinces perdues" en 1870 : "Merci ma patrie, Vive la France !".
La Soirée Alsacienne s’est poursuivie par des chansons alsaciennes interprétées par les demoiselles de bureau de la SACM, vêtues du costume traditionnel, auxquelles les employés ont réservé un très bon accueil, avant une projection de vues de la Ligne bleue des Vosges, objet d’âpres combats durant le conflit et le discours de clôture, dont la qualité a rappelé aux employés de la SACM les Soirées Alsaciennes d’avant ces quatre années sombres.
Titre : Milhüser Kriegs-Revue fir d'Giessereiler 1914-1918 : Dichte un vortrait am 8. Hornung 1919 vom Kolleg A. Riffly an dr Soirée Alsacienne vu de Giessereier Employés (page de titre de la plaquette souvenir de la Soirée Alsacienne – Mulhouse 8 février 1919)
Auteure : Anaïs Stoeckle
Date d'édition : 1919
Lieu de conservation: Bibliothèque municipale de Mulhouse, F Br I 3962