Les vacances d’été sont déjà loin mais pourquoi ne pas se plonger avec plaisir dans un livre rappelant agréablement l’air marin, le sable chaud et les trésors que la mer renferme ?
Les délices des yeux et de l’esprit de Georg Wolfgang Knorr est un remède tout indiqué à la grisaille automnale. Paru en 1764 à Nuremberg, cet ouvrage détaille toutes les espèces de coquillages connues à l’époque et présente de magnifiques planches gravées et coloriées à la main par l’auteur.
Au milieu du 18e siècle, l’histoire naturelle connaît une transformation majeure. Carl von Linné systématise la classification du vivant en imposant une nomenclature binominale, fondée sur un double nom latin pour chaque espèce, dans la dixième édition de son célèbre ouvrage Systema Naturae (1758). Cette innovation marque une rupture avec les désignations descriptives ou empiriques (basées sur l’observation) en usage jusqu’alors, issues notamment des travaux de Georg Everhard Rumphius, une référence constante pour Knorr.
À titre d'exemple, Knorr choisit comme premier spécimen présenté dans le volume le « Nautilus Major », nommé par Ramphius en néerlandais « Parlemoer-Horn ».
À cette époque, les coquillages changent également de statut. Autrefois objets de curiosité accumulés dans les cabinets privés, ils deviennent des spécimens d’étude, classés, comparés et décrits. Les ouvrages de conchyliologie se multiplient, tout comme les collections qui deviendront peu à peu les musées d’histoire naturelle.
C’est dans ce contexte d’effervescence scientifique que Georg Wolfgang Knorr (1705–1761), graveur, peintre et marchand d’art néerlandais à Nuremberg, entreprend la réalisation d’un ouvrage d’un type nouveau. Dans son avant-propos, il constate que si la nature terrestre a fait l’objet de nombreuses observations, le monde marin reste encore largement sous-décrit. Il évoque les travaux de Gesner, Aldrovandi, Buonanni, mais déplore leur rareté et leur ancienneté. Plutôt que de proposer une simple compilation, Knorr souhaite créer un ouvrage entièrement nouveau, illustré, et aussi fidèle que possible à la réalité.
Le résultat, Les Délices des yeux et de l’esprit ou Collection générale des différentes espèces de coquillages, paraît en 1764 à Nuremberg, dans une édition bilingue allemand-français. La première partie est publiée de son vivant, accompagnée de magnifiques planches gravées et coloriées à la main, fruit du travail minutieux de l’auteur. La deuxième partie, parue en 1765, est éditée après sa mort par ses héritiers, avec l’assistance du diacre August Martin Schadeloock. Cette seconde livraison propose des descriptions plus sommaires, mais reste fidèle à l’esprit de l’ouvrage.
La beauté des planches, alliée à la précision scientifique, explique le succès durable de l’ouvrage. Chaque coquillage est représenté avec une fidélité remarquable, selon une esthétique héritée de l’école de Dürer, mise au service d’un savoir en construction.
Certaines planches, d’un raffinement extrême, rivalisent avec celles des grandes publications contemporaines, comme celles de Seba, Argenville ou Gualtieri, que Knorr a peut-être parfois reproduites en omettant de les citer. Mais l’inscription « G. W. Knorr exc. Norib. », que l'on peut par exemple lire sur la planche ci-dessous, indique que cette planche a été faite par Knorr à Nuremberg.
Knorr ne se contente pas de représenter des coquilles aux formes élégantes et aux couleurs vives. Il adopte une démarche scientifique avant-gardiste, en s’intéressant également aux fossiles.
Dans ses travaux antérieurs, comme le Lapides diluvii testes (1755), il est l’un des premiers à reconnaître les fossiles comme les vestiges d’êtres vivants disparus, ouvrant ainsi la voie aux futures découvertes en stratigraphie. Cette sensibilité paléontologique se retrouve dans Les Délices des yeux et de l’esprit, où plusieurs espèces fossiles marines sont décrites avec soin.
L’exemplaire numérisé présenté ici est conservé au Service des bibliothèques de l’université de Strasbourg, parmi la collection mise en dépôt par la Bnu. Comme l'atteste son ex-libris, il est issu du fonds Jean Hermann, c'est-à-dire de la bibliothèque de travail de ce savant strasbourgeois.
Si la qualité de l’exemplaire est appréciée par Hermann en raison de son caractère encyclopédique, il n’hésite pas à critiquer le texte qu’il juge « pitoyable » dans une note manuscrite, ainsi que la traduction française. En effet, à en croire Hermann, Knorr ne maîtrisait que très mal les termes scientifiques utilisés par les amateurs français.
Inès Laref et Marie Boissière-Vasseur, Service des bibliothèques de l’Université de Strasbourg
Référence :
Knorr, Georg Wolfgang, Les délices des yeux et de l'esprit, ou collection générale des différentes espèces de coquillages que la mer renferme, Nuremberg, 1764-1765, cote H 17.032-1, Collection Bnu en dépôt à l’Université de Strasbourg.
Disponible en ligne : https://docnum.unistra.fr/digital/collection/coll13/id/195717/rec/5
Bibliographie :
Ashworth, William B., « Scientist of the Day – Georg Wolgang Knorr », Linda Hall Library, 30 décembre 2020. Disponible en ligne