L’Abbrégé de l'art des accouchemens d’Angélique du Coudray, publié pour la première fois en 1759, est un manuel qui a vocation à instruire les femmes qui pratiquent les accouchements au 18e siècle. Il s'agit d'un témoin écrit important de l’évolution d’une profession millénaire et vitale : celle des sages-femmes.
L’exemplaire conservé par la bibliothèque de santé de l’université de Strasbourg a été édité en 1769, il s’agit de la seconde édition. Si le texte n’a pas été modifié par rapport à l’édition précédente, des illustrations ont été ajoutées. Ces dernières sont soignées, en couleurs, et rendent très concrètes les explications d’Angélique du Coudray, même si les représentations anatomiques peuvent laisser à désirer (voir l’article de Jérôme von Wijland sur le sujet). Le format (13cm x 20cm) permet à l’ouvrage d’être transporté facilement et d’être diffusé au plus grand nombre.
Angélique du Coudray, de son nom complet Angélique Marguerite Le Boursier du Coudray, serait née à Clermont-Ferrand en 1712 dans une famille de médecins. Elle deviendra la première sage-femme à obtenir un certificat qui ouvrira la voie à la professionnalisation de son activité.
C’est à Paris, à l’Hôtel-Dieu, qu’elle reçoit sa formation. Après 16 ans d’exercice dans la capitale elle décide de retourner en Auvergne. On ne connaît pas exactement les raisons de ce départ mais la province manquant cruellement de sages-femmes formées, ces dernières s’établissant le plus souvent à Paris après leur instruction, son arrivée est appréciée.
Face au contexte qu’elle découvre loin de Paris, elle décidera d’enseigner gratuitement son savoir. En effet, en province, les femmes que l’on nomme à l’époque les « matrones » se chargent traditionnellement d’aider les parturientes à accoucher. Cependant leurs connaissances, transmises de générations en générations, sont très empiriques et leurs méthodes empreintes de superstitions sont dangereuses. L’une des principales fonctions de son livre est donc de faire parvenir dans les campagnes le savoir scientifique de l’époque. Et il faut bien avouer que le langage employé par l’autrice pour cela n’est ni respectueux ni diplomatique. Dès les premières lignes de l’ouvrage le ton est donné : il est question d’enseigner « aux femmes peu intelligentes » qui se « mêleraient » d’accoucher sans avoir pour cela les connaissances requises et dont les parturientes seraient les « malheureuses victimes » (cf. avant-propos). On comprendra donc bien que l’acceptation de ses méthodes dans le milieu des sages-femmes, ou matrones, de campagne soit laborieuse. D’autant qu’à l’époque la relation de confiance, voire d’intimité, que l’accouchée entretient avec la femme qui l’aidera à mettre son enfant au monde est primordiale. Le travail sur les mentalités est donc double pour Angélique du Coudray qui doit également faire accepter l’idée que la parturiente soit accompagnée d’une femme, certes instruite et spécialiste, mais extérieure au cercle familial ou social proche.
En parallèle, la sage-femme s’attache à promouvoir sa démarche auprès des pouvoirs publics. Cela est assez aisé dans un contexte de baisse démographique, et d’autant plus que les classes dirigeantes jugent les matrones responsables de la forte mortalité infantile et maternelle. Angélique du Coudray fait acheter son ouvrage aux provinces afin qu’il soit diffusé au plus grand nombre et utilisé à la manière d’un manuel d’enseignement. Ce dernier diverge des traités médicaux de l’époque, réservés aux spécialistes. Le livre au contenu aéré avec ses planches en couleurs et son vocabulaire simple bouscule les pratiques traditionnelles de la médecine et se révèle être un véritable ouvrage de vulgarisation, mis au service de la santé publique. Dans son avant-propos elle écrit : « N’écrivant point pour les personnes éclairées, je ne saurais me rendre trop intelligible ».
Cependant, il est important de noter qu’Angélique du Coudray a toujours conservé de bons rapports avec des personnages d’influence, médecins, chirurgiens ou autres hommes du monde, qui lui assurent sa carrière. Si sa méthode est différente elle ne va pas pour autant à contre-sens. Par ailleurs la sage-femme est décrite par ses pairs comme vaniteuse, sûre d’elle et fière de sa notoriété. Ces traits de caractère l’ont très certainement aidée à s’inscrire, en tant que femme, dans le paysage médical de l’époque.
Enfin, il est assez intéressant de voir que le texte insiste sur le fait d’aider toutes les femmes, même pauvres, sans jamais privilégier les plus fortunées qui pourraient payer plus, ainsi qu’aux « filles-mères » (cf. p. 4), rejetées par la société et parfois abandonnées à elles-mêmes au moment de leur maternité. Elle inscrit ici clairement son ouvrage et son activité de sage-femme sous le serment d’Hippocrate, l’érigeant en une véritable discipline médicale.
Grâce à ce texte et à son parcours (et notamment à sa célèbre « machine » conservée au Musée de Flaubert et d’histoire de la médecine à Rouen), Angélique du Coudray a marqué l’histoire de la médecine, à tel point qu'en 2023, Adeline Laffitte et Hervé Duphot lui consacrèrent une bande dessinée publiée aux éditions Delcourt et intitulée La sage-femme du Roi.
Lucie Le Gouas-Wald, Service des bibliothèques de l'Université de Strasbourg
Pour aller plus loin :
"Angélique du Coudray", wikipédia, <https://fr.wikipedia.org/wiki/Ang%C3%A9lique_du_Coudray> consulté le 5 février 2025.
Pierre Ropert, "Comment Angélique du Coudray et ses mannequins ont réduit la mortalité infantile", radiofrance, 5 mai 2023. Disponible en ligne : < https://www.radiofrance.fr/franceculture/comment-angelique-du-coudray-et-ses-mannequins-ont-reduit-la-mortalite-infantile-9827671> consulté le 5 février 2025.
Jérôme von Wijland, "Enluminer les accouchements, éclairer l'enseignement - Les planches de l'Abbrégé de l'Art des Accouchemens de Madame du Coudray", Université Paris Cité, 27 septembre 2022. Disponible en ligne : <Enluminer les accouchements, éclairer l’enseignement — Les planches de l’Abbrégé de l’Art des Accouchemens de Madame du Coudray>, consulté le 5 février 2025.
Adeline Lafitte et Hervé Duphot, La sage-femme du Roi, Delcourt, 2023.