Les membres de la Société industrielle de Mulhouse ont été parmi les premiers chefs d’industrie à s’inquiéter de la qualité de vie des enfants employés dans les manufactures (1).
Ils ont rassemblé au fil des années nombre de documents sur la réglementation et la situation des enfants travaillant dans les industries, aujourd’hui conservées à la Bibliothèque de l’université et de la SIM (BUSIM).
Un an seulement après la création de la SIM en 1826, le sujet est déjà à l’ordre du jour : leurs efforts persistants donneront lieu en 1841 à la première loi en France portant sur les conditions de travail des enfants (1).
La loi de 1841 demeure dans un premier temps en grande partie inappliquée en France car beaucoup d’industriels continuent à employer des enfants en dehors de tout cadre légal d’apprentissage ou d’engagement sur contrat (BUSIM Br 3609-1). En 1874, une nouvelle loi voit le jour. Portant globalement sur les mêmes sujets que celle de 1841, elle est cependant plus précise et assortie de dispositifs de contrôle et de sanction. De cette loi naît un corps d’inspecteurs divisionnaires, chargés de faire appliquer la loi sur le terrain (2).
Gustave Maurice, inspecteur divisionnaire de la Seine (première circonscription), mène sa mission particulièrement à bien.
Dès 1875, il publie un Guide pour l’application de la loi de 1874, à destination des industriels, chez l’éditeur de textes administratifs A. Chaix.
Vendu à un franc, l’ouvrage est réédité au moins deux fois dans les deux années qui suivent, et semble avoir ainsi connu une importante diffusion, bien qu’un très petit nombre d’exemplaires soient connus aujourd’hui dans les bibliothèques publiques.
Contenu dans un petit format de poche in-12, il présente une page de titre ornée d’un encadrement architectural avec deux vignettes illustrées, un choix éditorial adressé à un large public.
Le Guide de l’inspecteur du travail des enfants, publié par le même auteur la même année, à destination de ses confrères, est quant à lui beaucoup plus sobre…
Le Guide de Gustave Maurice se donne pour objectif d’éclairer les industriels en ce qui concerne leurs obligations envers les enfants qu’ils emploient : en les rassurant par rapport aux intentions du législateur (qui ne cherche pas à nuire au développement des industries), en explicitant les circonstances dans lesquelles l’emploi des enfants est possible (conditions d’âge, de temps de travail, de scolarisation…) et en les mettant en garde quant aux pénalités qu’ils encourent (responsabilité des patrons, pénalités financières…).
L’objectif est de trouver un équilibre entre les besoins de l’industrie, l’intérêt des enfants et les nécessités des familles, à un moment où, rappelons-le, des efforts sans précédents sont déployés au niveau national pour permettre aux enfants d’accéder à l’instruction (loi Guizot en 1833, loi Falloux en 1850).
Reprenant les grands thèmes de la loi de 1841, la loi de 1874 établit que les enfants doivent être âgés de 12 ans minimum pour travailler dans l’industrie (10 ans dans certains secteurs spécifiques), et doivent être en possession d’un certificat d’instruction primaire pour pouvoir travailler plus de 6 heures par jours (à la hauteur maximale de 12 heures par jour).
S’ils ne le sont pas, ils doivent aller à l’école tous les jours et présenter à l’employeur un carnet de présence à l’école signé chaque jour par l’instituteur.
Par ailleurs, tous les enfants employés doivent avoir un livret de travail nominatif qu’ils obtiennent auprès de la mairie ou de la préfecture de police, ce livret demeurant en possession de l’employeur pendant la période d’emploi. En cas d’inspection, le livret de travail et le carnet de présence à l’école sont contrôlés par les autorités. La loi de 1874 réglemente également le travail de nuit, le dimanche et les jours fériés, et les charges pouvant être portées par les enfants selon leur âge. Le travail des enfants à proximité de substances dangereuses est strictement interdit (y compris présentant des risques d’incendie), la liste de ces substances étant détaillée par l’auteur.
Le Guide insiste sur l’obligation d’afficher le texte de loi dans les espaces de l’industrie (obligation déjà présente dans la loi de 1841) et de l’appliquer à tous les enfants y compris ceux en période d’essai. Il rappelle aux chefs d’industrie qu’ils sont civilement responsables des contraventions de leurs gérants et qu’ils répondent à ces contraventions devant le tribunal de police correctionnelle.
La loi de 1874 a permis une importante avancée dans les conditions de travail des enfants, bien que des dispositions complémentaires fussent rapidement reconnues nécessaires (2).
A titre d’exemple, un grand nombre d’écoles attachées aux industries ont été créées dans les années suivant immédiatement la promulgation de la loi : avant la fin de la décennie, près de 10 000 enfants ouvriers sont scolarisés dans ces écoles (2).
De nombreuses autres pièces conservées à la BUSIM témoignent de l’intérêt et de l’engagement de la SIM pour cette question : lettres, essais, textes de lois, rapports… autant de sources de première main retraçant l’histoire de ce combat qui trouve ses origines au cœur de l’Alsace.
Autrice : Alissar Levy
Dates du corpus présenté : 1875
Lieu de conservation : Service commun Learning Center de l'Université de Haute-Alsace
BUSIM, Br 3609-33
(1) Marie-Noële DENIS, « Le travail des enfants dans les manufactures alsaciennes au XIXe siècle », Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, Paris : Editions du CTHS, 2005, p. 241-255. www.persee.fr/doc/acths_0000-0001_2005_act_127_5_5198
(2) Karen Fiorentino, « Protéger l’enfant ouvrier. La loi du 19 mai 1874, une législation intermédiaire ? », Revue historique, n° 682, 2017, p. 327-357. http://www.jstor.org/stable/44784866